Le 3 septembre 1996 sera vraisemblablement un jour mémorable pour les
reporters étrangers en poste à Pékin. Cet après-midi-là,
ils étaient rassemblés au Club International de Pékin.
"Je vous salue, Mesdames et Messieurs. Aujourd'hui, je n'ai pas de
nouvelle à rendre publique et je profiterai seulement de l'occasion pour
répondre à vos questions", a dit avec aplomb M. Sen Guofang,
porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères de Chine, sans
que ses mots soient traduits en anglais.
Dans les années 70, le Ministère des Affaires Etrangères
de Chine avait commencé à donner régulièrement une
conférence de presse, au cours de laquelle le porte-parole du ministère
exposait le point de vue et la position de son pays sur les principales
questions internationales et annonçait les nouvelles marquantes. Dans les
années 90, la position de la Chine s'affermit constamment dans le monde.
Les relations entre la Chine et les autres pays s'accroissent plus que jamais
auparavant. De plus en plus de journalistes étrangers se rendent en
Chine. C'est dans ces circonstances qu'a été abandonnée
l'habitude d'employer un interprète de langue anglaise lors des conférences
de presse.
En juillet dernier, le porte-parole du ministère déclara qu'à
partir de septembre 1996, la conférence de presse chinoise
bi-hebdomadaire se déroulerait sans traduction en anglais, tous les
journalistes devant utiliser le chinois pour poser leurs questions, et que le
porte-parole du ministère répondrait dans la même langue.
Lors de la première conférence de presse sans traduction anglaise,
un journaliste japonais fut le premier à interroger le porte-parole en
chinois. Il s'ensuivit un silence de deux minutes.
"Permettez-moi de vous demander, Monsieur le Porte-Parole, quel
sentiment vous ressentez actuellement ?" lui demanda le journaliste de
l'Asie Wall Street Journal.
"A vrai-dire, j'éprouve un sentiment de difficulté, car
je dois non seulement me concentrer, pour comprendre vos questions, posées
avec un certain accent, mais aussi pour y répondre aussitôt. De même
vous, journalistes de divers pays, ressentez une difficulté en écoutant
mes paroles en chinois... Je crois que nous nous adapterons tous rapidement à
ce changement" répondit le porte-parole.
L'atmosphère se dégela et plusieurs journalistes levèrent
la main.
Le peuple chinois constitue le cinquième de la population mondiale,
le chinois est une des langues officielles de l'ONU, mais bien que chaque nation
ait sa langue propre, l'anglais est largement utilisé dans le monde. En
Chine on peut souvent entendre la question:
"L'anglais est-il la langue internationale?"
En raison des barrières linguistiques, on doit dépenser des
sommes importantes pour la traduction dans les réunions internationales.
Pour mieux servir ses intérêts diplomatiques, le Ministère
Chinois des Affaires Etrangères a réformé sa conférence
de presse, c'est-à-dire a annulé la traduction anglaise.
On avait affirmé que, lors de la première conférence de
ce type, les journalistes occidentaux ne poseraient pas de questions, que le
porte-parole ne pourrait répondre qu'aux questions des reporters de
Hongkong et de Taiwan, et que la conférence serait un échec.
Contre toute attente, elle se déroula dans une atmosphère sérieuse
et plein d'entrain.
L'absence de traduction anglaise désavantage les journalistes étrangers.
Dans le passé, ils n'avaient aucune difficulté pour bien écouter
et comprendre le porte-parole grâce à la traduction en anglais.
Mais maintenant, ils doivent avant tout s'efforcer d'écouter le discours
en chinois pour accomplir leur tâche avec succès.
Certains pensent que l'acte du Ministère des Affaires Etrangères
de Chine est une manifestation d'exclusivisme nationaliste et ne correspond pas
à la politique d'ouverture. Il nous vient les questions: pourquoi
l'anglais, langue nationale à cent pour cent, peut-il être utilisé
comme langue universelle ? Est-ce à cause de sa supériorité,
ou seulement à cause de l'habitude prise au fil des ans?
Objectivement, la décision du ministère chinois pose un réel
problème aux nations puissantes utilisant l'anglais, et les force à
réfléchir aux problèmes linguistiques dans les échanges
internationaux, ainsi qu'au fait que les langues des nations faibles devraient être
respectées.
Quatre mois se sont écoulés depuis la disparition des interprètes
d'anglais dans les conférences de presse. Le chinois est souvent parlé
par des journalistes étrangers en Chine. L'un d'eux m'a dit en
plaisantant : "Si je n'apprenais pas le chinois sérieusement, je
perdrais mon emploi."
Tous les journalistes étrangers en Chine ont compris que mieux il
parleront le chinois, mieux ils réussiront dans leur travail.
Yi Ding |